Panacée de l’architecte

En ce temps de doute généralisé, un homme, entamé par sa carrière, fatigué de sa journée, s’assoit à ­l’intérieur d’un café bruxellois le temps de reprendre un peu d’énergie.
Il commande un café, bien serré, sans sucre, sans lait, sans crème.
-Rien d’autre ?
– Non, juste des grains de café fraichement moulu, je les aime au naturel.
Paisiblement, à travers les carreaux son regard se perd au loin, il vague à ses pensées avec le bruit des conversations gravitant autour de lui. Dans ce monde où la conformité règne, dictant chacun de nos pas, de ce que nous devons aimer ou détester, trouver beau ou moche, ­tolérable ou intolérable… un instant de liberté ne vaut-il pas très cher ? Telle une respiration pour sortir de cette asphyxie, un souffle d’air frais. Il espère que le prochain ne sera pas si tardif. Interpellé par le détail d’une façade. Sa pupille se dilate, l’iris adapte sa vision à ce qui éveille sa curiosité. L’attention est là, la tension aussi. Ce pignon le touche, il ne saurait dire pourquoi mais il trouve ça beau. En l’observant, c’est un  sentiment de bien-être… A l’intérieur de lui c’est une harmonie totale. Il sait que cette beauté peut exister parce qu’elle est pure; exempte de préjugé et d’opinion sociale. Aucune publicité. Rien. Pas même quelqu’un n’est venu lui dire qu’il devait trouver ça beau. C’est un moment de vérité; union de son âme et de son état de conscience; un accord mutuel entre la raison et la sensibilité. Il tend la main à son égo. C’est une écoute profonde à lui-même, pour lui-même et peut-être même pour l’humanité en somme.
Oui jusque-là, car à sublimer notre être nous aidons le monde à se porter mieux quand le souci premier de l’architecte est le bonheur des autres. Le mérite y est, il n’y a maintenant qu’un pas à faire pour qu’il reste éternel. Sortant un stylo de sa poche, il dessine ce qu’il voit et ressent, sur la nappe de table en papier. L’action demande un effort physique et mental. L’entière disponibilité est une exigence permettant cet effort sans pour autant avoir l’impératif de suivre des règles prescrites. Ces traits, faits de grosseurs et gestes multiples, provenant à l’origine d’une intuition, concrétisent l’acte vital de l’Architekton. Il trace les empreintes de son cœur. Il rajoute à sa palette une nouvelle tonalité. Le voilà plus confiant.
Peut-être touchons-nous là un point du dessein du croquis ­d’observation: réaffirmer ce qu’est le concept de création pour un ­architecte. Une thérapie par la contemplation de la beauté du monde, par le repli sur soi-même. Une panacée contre sa perdition…

 

Août 2015. © Jonathan Rabbe
Écrits de jeunesse

Cf « L’éternel serment à Mnémosyne, Panacée de l’architecte »